Ethel écrit son histoire à épisodes !

Entre les quatre murs de ma nouvelle chambre, j’ai froid. L’obscurité serait totale si ces fous n’avaient pas oublié ce que je suis. Ils ne m’ont rien laissé. Ils n’ont aucune once d’humanité. Ces barbares m’ont d’abord camisolé puis enchaîné avec ce nouvel alliage qu’ils ont créé spécifiquement pour moi et ceux de mon espèce.

Plus tôt dans la journée, comme chaque jours, l’infirmier en chef est venu me voir avec ce cher Docteur Lennox. Mes parents, effrayés par ce que je devenais, m’avaient envoyé dans sa « maison de repos ». Un euphémisme pour dire qu’ils m’internaient afin de se débarrasser de moi. J’avais donc échouée dans cette chambre à L’Asylum du Docteur Lennox aux alentours de Londres. Tout les jours les mêmes questions, les mêmes dialogues, les mêmes traitements, les mêmes souffrances…
-Bonjour Sibyl, comment allez-vous aujourd’hui ?
Je ne pouvais pas répondre à sa stupide question vu qu’ils m’avaient muselé la veille. Mes dents s’étaient transformées en crocs à ma demande. Maintenant il a de belles marques sur le bras cachées par un bandage. Son sang était terriblement dégoutant.
Pour répliquer, je laissais ma vraie nature l’emporter et mes yeux prirent une apparence qui les rebuta. Ma transformation commençait, je le voyais dans leurs regards dénués d’âmes.
-Charles notez. 20 Octobre 1857. Le sujet Sibyl Latimer, patiente E10C130FU, commence sa crise à … 9H27. Toujours aucune coopération. Sa maladie reste indéterminée.
Un râle sourd monta en moi. Mes iris s’étaient injectées d’or en formant une nuées d’étoiles dans mes yeux bleus maintenant noir comme la nuit. Ma peau changea aussi. Par endroit, mes écailles commençaient à pousser. Je sentais mes ongles devenir des griffes, mes dents des crocs, mes oreilles pointues. Mes cornes, elles, ne parvinrent pas à sortir. Ils me les avaient coupés et j’étais trop affaiblie pour me régénérer.
-Charles, allez chercher la couronne de trépan.
-Sans morphine ou opium Docteur ? Elle risque de…
Trop tard. Je leur vrillais les tympans à coups d’ultrasons. La seule magie dont j’étais capable à cette heure et dans ces conditions.
-Allez-y ! beugla le Docteur Lennox.
J’amplifiais le son. Le Docteur se mit à vomir tripes et boyaux. Mais je savais ce qui m’attendait. Ce coup-ci, il me ferait ça à chaud, sans ménagements.

L’infirmier revint avec son instrument. Lennox se leva péniblement et lui lança un regard meurtrier. Il s’empara de la couronne de trépan et s’approcha. Je savais que j’allais souffrir et ce sadique sans faisait une joie. Il allait me faire payer.
-Notez Charles.
Et il commença son œuvre. L’outil me transperça à la tempe puis frôla l’os. Là, Lennox donna plus de force à son geste et brisa mon crâne. La pointe continuait sa traversée. Des larmes roulaient sur mes joues, mes sanglots s’étouffaient, mon sang perlait et s’accumulait sur les anciennes tâches sèches due ces mêmes traitements. Mon corps entier était secoué de spasmes. J’eus l’impression que mon supplice durait des heures.
En un instant je fus affaiblie, réduite à rien. Il venait de remporter cette bataille. Il m’aurait à l’usure. Il retira la couronne de trépan aussi lentement que possible, satisfait de son travail de boucher.
-Le sujet E10C130FU a subit une opération à 9H32. Sa crise a été maîtrisée mais les résultats restent peu concluants. On note toujours une agressivité incontrôlable. Un diagnostique sera établit lors de la réunion. Pour l’examen de demain, elle ne devra ni manger, ni boire, ni dormir.
-Bien Docteur.

Ils avaient quitté ma chambre, me laissant à terre comme ils m’avaient trouvé. Ma tête bourdonnait.
Je suis une Maléficienne et ils l’ignorent. Je dois préserver ce secret à tout prix. Si ils le découvrent, ils nous dénicheront tous, nous tuerons ou ferons de nous leurs esclaves-soldats, nous les créatures de la nuit.

Comme promis, ils ne m’ont pas laissé dormir. Mes forces commencent à s’amenuiser. Ils veulent que je craque. Mais je ne leur offrirais pas ce plaisir. Toutes les demi-heures, j’ai eu droit à un sceau d’eau glacée pour m’empêcher de m’endormir me répétais mon geôlier. De toute façon, il fait trop froid ici et les liens de métal me serrent jusqu’à une quasi suffocation.

L’heure est arrivée. J’entends le pas lourd du Docteur Lennox, sa voix grasse et un pas lourd en parfait contraste à celle de son sbire qui lui, piétine et a une voix plus douce. Il ordonne à mon geôlier si je ne me suis pas endormie. L’autre lui répond qu’il c’est bien affairé pour que cela ne se produise pas. Les serrures (oui car ils en ont installé quelques unes de peur que je m’échappe, comme si c’était possible dans ces circonstances), les serrures cliquettent, grincent, retombent et finissent par s’ouvrir sur un Docteur Lennox radieux. Lui, il sait ce qu’il va me faire et s’en délecte d’avance.
-Bonjour Sybil, comment-allez-vous aujourd’hui ?
Il m’agace avec cette question. Je lui lance un regard noir.
-Vous m’en verrez désolé pour cette nuit blanche.
Ah ! Vraiment ?
-Pour le test que nous allons effectuer, il était nécessaire que vous soyez… épuisée… Pour que vous soyez plus facile à maîtriser. Je ne vous en dit pas plus. Charles notez.
-Tout de suite monsieur.
Le pauvre gringalet (car à côté de la masse que représente le Docteur Lennox, il équivaut à un poids plume) sortit sont fameux carnets noirci de sa dictée journalière.
-21 Octobre 1857, 10H00. Le sujet, Sibyl Latimer dénommée E10C130FU, semble épuisée après une nuit avec privation de sommeil en vu de l’examen d’aujourd’hui. Elle subira une injection de morphine en grande quantité car résistante à cette substance à petite dose. Son état sera vérifié avant de lui retirer sa camisole. Elle restera pourtant enchaînée par mesure de précautions. Elle sera nourrie après l’examen.
Mes oreilles bourdonnent. Je ne sais pas ce qui va m’arriver mais je serais débarrassée de cette fichue camisole. J’ai horreur de ne pas être libre de mes mouvements. Certes je serais toujours enchaînée mais mes mains seront libres. Mr Charles, je ne connais pas son grade, est-il médecin, infirmier, apprentis tortionnaire ? Que sais-je ? Il avance avec sa mallette et l’ouvre. Elle est remplie de petites fioles et d’une seringue qui m’apparait disproportionnée. Des ses doigts un peu trop baladeur, il tâtonne mon coup, certainement à la recherche de mes écailles ou bien d’une veine.
-Docteur, ses « écailles », dit-il en déglutissant avec dégoût, ne sont plus présentes.
-Notez.
Il obéit comme un brave toutou. Il sortit une première fiole qu’il inséra dans la seringue. L’aiguille s’approche. Je vais le sentir passer.
-Pardonnez moi, ça risque de piquer un peu. Vous devez vous détendre.
Bien sûr…. Mr Charles me l’enfonce sans manière. Le produit me brûle. J’ai envie de hurler mais mes cris s’étouffent dans ma gorge. J’ai encore ces bourdonnements, ils sont plus intense. Mais je résiste, du moins je tente. Mr Charles sort l’aiguille, remplit de nouveau le compartiment de morphine et repique à la base du coup. Maintenant je commence à voir des points noirs. J’essaie de retrouver mes esprits… J’entends les voix, je comprends, mais je suis incapable de bouger ou d’emmètre le moindre son.
-Charles, une demi fiole pour être certains…
-Mais Docteur, elle semble déjà affaiblie… son regard est vide et elle commence à se décontracter.
-Faîtes ce que je vous dit, aboya-t-il.
Je ne sens plus rien. Je perd la notion du temps. On me touche. Je sens l’air glacé sur ma peau puis le métal ou un tissu léger, ou bien les deux. Ma bouche se libère un instant mais je ne peux rien faire. Je suis groggy. Puis je sens des liens sur mon visage, serrés. Des trous, je crois, laissent l’air s’introduire dans ma bouche.
J’arrive dans une salle ensoleillée mais toujours froide. Je ne comprend rien. La lumière me brûle les rétines trop habituées à l’obscurité.
-Miss Latimer, dit une voix féminine qui me parut lointaine, vous allez avoir droit à une « douche » et à un « bain ».
Elle avait hésité sur ses derniers mots. Mon instinct ne m’augurait rien de bon. Et il se trompe rarement, sauf ces derniers temps où j’ai manqué de lucidité.
Le choc thermique. On me versa deux ou plusieurs seaux d’eau bouillante. Je voulais tomber mais j’avais l’impression d’être retenu. Mes hurlements pouvaient enfin sortir. Au fond, quelque chose en moi se libérait. J’étais toujours sous l’effet de la morphine, plus ou moins consciente, mais je me laissais faire, cette douche m’avait revigoré en quelque sorte. Puis je fus soulevée de nouveau.
Une baignoire était là, devant moi. Je grelottais. Mes pieds ne touchaient plus terre. Mes aisselles et mes genoux étaient maintenus par des mains fermes. Certainement pas celles de femmes. Bien trop grosses et trop calleuses. Je me sentis légère. Ils me lâchèrent. L’eau glacée me lacéra la peau, me brûla. La transition avait été si brutale que je sombrais dans le chaos, sans réagir. Je me laissais couler.


Je me réveille, trempée et gelée. Je relève doucement la tête. Elle me fait l’impression d’être du plomb. Mes yeux ont du mal à s’habituer à cette semi-obscurité.
Une odeur de vase me remonte. Je prends à peine conscience que je suis dans une petite mare. Je me met debout péniblement et sors de l’eau. Sous mes pieds, il y a de l’herbe fraîche. Des odeurs de forêt m’embaume. Je revis. Comme c’est agréable. Mais tout ceci est trop beau pour être réel.
Je n’avais pas remarqué ce grand chêne au milieu de ce petit pré. Il est couvert de noir… Des corbeaux… J’aime leur compagnie mais ils semblent effrayés. La tension est palpable, l’air s’engorge. Un peu plus haut, j’aperçois les contours d’une abbaye faîte pour être habitée par quelques aristocrates. Elle se dresse, imposante avec son architecture gothique dont les pointes des tours m’indiquent le ciel.
Une lune pleine se dessine, seule dans ce ciel noir qu’elle éclaire de sa lueur rousse. Une brume épaisse commence à se lever. Les corbeaux croassent à mon intention avant de s’échapper loin de cet endroit maudit. Je ne demande qu’à fuir aussi, mais où ?
Tout à coup, j’entends des craquements, des os qui se disloquent et se reforme. De la chair qui se déchire et se reconstitue. J’ai un mouvement de recul. Soudain, je le voie surgir. Un loup. Un loup gigantesque, tout du moins aussi grand que moi. Il a les babines retroussées et grogne. Il hurle à la lune avant de me pourchasser.
Je tente de tester si mes pouvoirs fonctionnent mais rien ne se passe. C’est la fin. Je suis perdue. Lasse de me battre, je m’agenouille face à celui qui sera mon assassin. Mes yeux prennent alors leurs formes. Leurs vraies, celle qui montre que ma magie ne m’a pas quitté. Je lève mon regard vers le loup. Je sens son haleine chaude sur ma peau.
Nous savons tout les deux que nous sommes dans le même camp. Je ferme alors les yeux…


Me revoilà dans ma chambre. Entre temps, ils ont dut profiter du fait que j’étais inconsciente pour me remettre ma camisole au complet. Plus de trou en tout cas pour ma bouche. Je reviens de je ne sais où mais juste à temps pour le diagnostique du Docteur Lennox retranscrit par Mr Charles.
-Notez. Le sujet E10C130FU se réveille à… 14H37. Le sujet, lors de l’examen, a montré des signes de crises d’où ses apparitions cutanées d’écailles et autres changements corporel déjà noté auparavant. Son corps à réagit en défensive et non par l’agressivité qui lui était connu à ce jour. Nous pensons donc que nous avons affaire, dans le cas du sujet E10C130FU à une mutation corporelle dut à des problèmes neurologiques ou une maladie mentale. Nous en concluons donc que la patiente n’est pas atteinte de thérianthropie.
Je le regardais en chien de faïence, ne l’écoutant plus. Moi, une malade mentale. Enfin… je suis passée de sujet de laboratoire à patiente. Mais ça se sera la version officielle tant qu’il n’aura pas obtenu ce qu’il cherche. Ils partent et je suis de nouveau seule.

Je repense à ce rêve, si s’en était un. Une abbaye n’est pas habité par un simple loup. Ce loup. J’entends encore son corps se déchirer. Il n’est pas que loup. Il est homme. Je l’ai vu dans ses yeux d’ambre. J’ai vu son âme.